G. Piller: Spuren des Leibes in Selbstzeugnissen des 18. Jh.

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Titel
Private Körper. Spuren des Leibes in Selbstzeugnissen des 18. Jahrhunderts


Autor(en)
Piller, Gudrun
Reihe
Selbstzeugnisse der Neuzeit 17
Erschienen
Köln 2007: Böhlau Verlag
Anzahl Seiten
354 S.
Preis
URL
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Philip Rieder

La première originalité de l’ouvrage de Gudrun Piller est de s’appuyer sur un corpus d’écrits personnels (Selbstzeugnisse) afin de répondre à des questionnements issus de deux chantiers historiques distincts, celui de l’écriture de soi et celui du corps. Jusqu’à récemment, des sources de ce type servaient à illustrer des récits fondés sur des séries documentaires d’accès plus aisé. Les recensements systématiques d’écrits personnels, réalisés ou en voie de réalisation dans différents pays européens, en font une source à même de renouveler les méthodes et les objets de recherche dans bien des domaines. Les journaux personnels, les autobiographies et autres textes écrits à la première personne du singulier par des acteurs peu connus regorgent de thèmes éclairant d’un jour nouveau la vie quotidienne, mais aussi la vie politique, sociale et culturelle d’Ancien Régime. L’ouvrage de Piller prend appui sur le recensement des écrits personnels conservé en Suisse alémanique orchestré par Kaspar von Greyerz (http://selbstzeugnisse. histsem.unibas.ch/). Cette base de données et celles qui sont en voie de constitution ailleurs permettent la constitution rapide d’un corpus d’écrits personnels autour d’une thématique précise et véhiculent ainsi un potentiel historiographique exceptionnel. Piller contribue et participe à ce renouveau, à la fois par son apport à des thématiques peu explorées et en soulevant de nombreuses questions méthodologiques.

Dans l’étude de sources aussi hétérogènes et peu systématiques que les écrits personnels, la méthodologie constitue le nerf de la guerre. Piller est systématique dans son approche, à la fois prudente et bien documentée. Ses démonstrations sont denses et bien étayées, résumées méticuleusement en fin de chapitre et en fin de volume. L’auteure maîtrise un pan vaste de la littérature sur l’histoire du corps et sur celle des écrits personnels. Elle signale dans son introduction les travaux marquants qui déconstruisent les a priori biologiques pour questionner les limites entre le discours et la corporéité, entre l’expérience du corps et le corps vécu, tout en élaborant une méthodologie pragmatique qui consiste à aborder le texte en tenant compte des notions de discours, d’expérience du corps, de la construction (Konstruiertheit) et de la formation (Formiertheit) du corps (p. 13).

Rendre compte d’un texte aussi nuancé et proche de ses sources que celui de Piller tient de la gageure. Le premier chapitre (Corps et parcours de vie) porte sur la cohérence des interprétations de santé de Hans Caspar Hirzel (1746–1827) et Johann Caspar Escher (1678–1762) avec leur statut et leurs activités. Piller montre bien à quel point ces auteurs participent eux-mêmes à élaborer un discours sur leur corps. Escher, par exemple, explique sa bonne santé par une prise en charge efficace par lui-même, basée sur la raison, le travail, la sobriété et la discipline, hissant ainsi sa bonne santé en preuve d’un succès personnel. Le champ du couple est pensé dans un deuxième chapitre (Corps dans le mariage) à partir de textes portant sur des échecs matrimoniaux. Ce choix est étonnant, mais se justifie par l’exposition dans ces textes des attentes et des représentations du couple par ces auteurs (p. 75). L’idée force que Piller tire de ces écrits est la position centrale du corps de la femme en tant qu’enjeux dans ces conflits et le rôle important joué par l’autre membre du couple en cas de maladie (p. 88). Dans son troisième chapitre (Naissance et parentalité), Piller remet en question nombre d’a priori qui font office de dogmes dans l’historiographie sur l’enfance et la vie familiale. Elle remet en cause, par exemple, la conviction que la mention lapidaire de naissances dans les livres de raison signifierait un manque d’émotion des parents, en montrant que ces récits répondent aux critères formels du genre. En dépit de la concision des textes, la lecture de Piller apporte nombre d’informations sur l’importance d’avoir enfant à son sein (p. 118), les frontières floues entre une naissance «heureuse» et «malheureuse» (p. 134–136), etc. Le quatrième chapitre (Corps et éducation) aborde la question de l’éducation des corps d’adolescents à travers les écrits personnels de Johann Rudolf Huber (176–1806) et d’Anna Katharina Mühl-Ryhiner (1761–1800) qu’elle confronte aux discours normatifs en société pour montrer comment l’intériorisation de ces discours peut être saisie dans l’écriture de ces adolescents (p. 203). Dans un dernier chapitre (Malades, maladies et culture médicale) Gudrun Piller investit le concept stimulant de «culture médicale». Le concept est défini comme comprenant les moyens d’appréhender, de donner sens et de gérer la maladie à une époque donnée (p. 205). L’approche littéraire et historique de Piller lui permet de tirer un maximum des récits de maladie qu’elle aborde, restituant dans la mesure du possible les récits dans la logique de leur auteur. Elle décrit la médecine symptomatique du temps, relève pertinemment l’usage limité du terme patient et, surtout, la nature peu «passive» de l’attitude de cet acteur (pp. 229–230). Piller met ainsi en scène la maladie dans son environnement social, aborde les concepts importants dans la conceptualisation de la maladie (est-elle «dangereuse»?). Le coeur du chapitre s’organise autour d’un récit autobiographique par Johann Rudolf Huber (1766–1806) sur une maladie qu’il eut en 1792–1793.

Méthodologiquement prudente et systématique, Gudrun Piller apporte un regard critique sur ses sources, soulignant à la fois leur richesse, et leur aporie. Par l’attention constante qu’elle prête aux enjeux historiographique, elle parvient à remettre en question nombre d’idées reçues et à mettre en valeur le potentiel des écrits personnels. Cela dit, l’ampleur de son panorama affaiblit la probléma tique générale. Quelle est, finalement, l’objet de sa démonstration? Des modalités particulières de gestion et de contrôle du corps, sans doute, mais ces idées tendent à être noyées dans une foule d’informations intéressantes, mais non pas forcément utiles à son propos. Le recours presque systématique (dans 4 des 6 chapitres) à des textes qui lui servent de références, tend à focaliser l’attention du lecteur sur les particuliers sans qu’il puisse toujours savoir si l’attitude ou la pratique soit commune ou extraordinaire par rapport à d’autres textes similaires. La mention, par exemple, ajoutée à la fin du chapitre sur l’autobiographie d’Escher qui observe attentivement son propre corps, qu’il n’est pas le seul auteur à agir ainsi, laisse le lecteur sur sa faim: n’y a-t-il pas différentes façons de «s’observer»? En somme, si le travail de Gudrun Piller ne comporte pas une thèse forte, elle introduit une série de thèses originales sur un ensemble de problématiques peu accessibles sans le recours à des écrits personnels.

Zitierweise:
Philip Rieder: Rezension zu: Gudrun Piller: Private Körper. Spuren des Leibes in Selbstzeugnissen des 18. Jahrhunderts. Cologne, Böhlau, 2007. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte Vol. 62 Nr. 3, 2012, S. 503-505

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Zuerst veröffentlicht in

Schweizerische Zeitschrift für Geschichte Vol. 62 Nr. 3, 2012, S. 503-505

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